jeudi 31 janvier 2019

Nos Vies Suspendues


Autrice : Charlotte Bousquet
Éditions Scrineo
304 pages – 17.90€

Trois ans, déjà.
Trois ans qu’Anis court pour ne plus qu’on la rattrape.
Trois ans que Nora a préféré ralentir, pour s’arrêter de penser.
Trois ans que Milan s’en veut de n’avoir rien pu faire.
Trois ans que Steven a fermé mes yeux, et qu’il avance dans le noir.
Cette nuit-là les a marqués à jamais.
Et chacun doit réapprendre à vivre, avec cette voix intérieure qui ne les quitte pas. Cette voix qui ne cesse de grandir et ne s’arrêtera pas de parler. Pas tant que les coupables n’auront pas payé.

Alors que le passé ne leur laisse aucun répit, comment retrouver le fil de leurs vies suspendues ?


Mon avis :

Nos Vies Suspendues est un roman poignant. Charlotte Bousquet nous propose un vrai page-turner qui porte bien son nom tant il a mis ma vie en suspens, le temps de ma lecture. Je l’ai dévoré d’une traite, tremblante de rage, de dégout et de chagrin. On y suit deux jeunes femmes victimes de viol, trois ans après l’agression. Trois années durant lesquelles elles ont dû vivre avec le verdict injuste prononcé par le tribunal, une sentence inacceptable qui a mis leur reconstruction en suspens. Malheureusement, c’est un sujet tristement d’actualité, à une époque où les femmes sont encore bien trop souvent considérées comme coupables de ce qui leur arrive. L’autrice choisit de montrer l’injustice et la réalité brute : le fait que les plaintes pour viol n’aboutissent que très rarement à un jugement satisfaisant. Ici, pas de super héroïnes prêtes à enfiler leurs capes de justicières, mais de jeunes femmes détruites, abandonnées par la justice et, par-dessus tout, culpabilisées. Comme si la sidération n’existait pas, comme si sa beauté, son état d’ébriété, sa virginité ou sa tenue avait une quelconque incidence sur la culpabilité des victimes. On découvre alors deux jeunes femmes qui réagissent différemment à l’annonce du verdict, mais aucune n’est plus légitime que l’autre. L’une s’est créée une carapace mentale, s’est endurcie jusqu’à en devenir froide et insensible. L’autre s’est créée une carapace physique, s’est oubliée au point de ne plus vouloir exister. Ce sont deux femmes qui ne peuvent que toucher, deux personnages crédibles qui incarnent tant de femmes à qui cela arrive chaque jour.

Et soudain, une touche de fantastique. Elle déçoit presque, quand elle arrive dans ce récit qu’on veut pourtant réaliste et juste. Mais une fois la surprise passée, on se rend compte de l’intelligence de l’implication du surnaturel dans cette histoire. À sa façon, elle personnifie des sentiments parfois difficiles à appréhender, comme une douleur intérieure qui ronge et qui détruit. Tout au long du roman, il est question de culpabilité. Des victimes, des agresseurs, des silencieux, des allié∙e∙s. Des victimes, à qui on fait croire qu’elles l’avaient peut-être un peu cherché, en exploitant la fameuse « zone grise » du consentement. Des agresseurs, qui ont de plus en plus de mal de se convaincre que cette zone existe. Des silencieux, qui auraient dû intervenir, qui auraient pu changer les choses. Des allié∙e∙s, qui auraient voulu aider, mais qui n’ont pas pu. Nos Vies Suspendues parle de culpabilité, mais aussi de reconstruction et de résilience. Un roman percutant !

6 commentaires:

  1. Je n'étais pas certaine de m'y intéresser (car je ne suis pas une grande fan de l'autrice, que j'ai trouvé très maladroite dans le seul roman que j'ai lu d'elle : "le jour où je suis partie"), mais ton avis me pousse à réviser mes réticences. S'il est disponible en bibliothèque je le lirai volontier ! Merci pour cet article très intéressant !

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    1. C'est le premier roman de l'autrice que je lis et j'ai été très agréablement surprise ! Il y a juste quelque chose qui me turlupine à propos de la fin et je serais ravie d'en discuter avec toi, une fois que tu l'auras lu !

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  2. Ta chronique est vachement bien faite :O
    Je l'ai pas demandé celui-ci parce que c'est un sujet qui va me mettre tellement en rogne et du coup, ça va m'énerver bien trop et j'ai pas envie de ça >.<
    J'arrive peut être après la guerre mais j'aime vachement les nouvelles couleurs du blog !
    Bisous !

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    1. Oh mais tu es si chou ! Merci beaucoup !
      J'ai hésité pour les mêmes raisons, j'ai beaucoup de mal avec la fiction sur ce genre de sujets, mais je trouve que les choix de l'autrice sont intéressants et donnent à réfléchir sur la notion de culpabilité. C'est un roman qui met en colère juste ce qu'il faut !
      Et merci, j'avais besoin d'un petit rafraichissement. Je m'y sens mieux, maintenant :)

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  3. Ce roman me tente pour ce récit ancré dans notre réalité. Je suis curieuse de savoir comment intervient le fantastique pour que tu aies ressenti une légère déception avant de comprendre son utilisation.

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    1. Oh oui, si tu le lis, je serais ravie d'en parler. L'apparition du fantastique m'a complétement prise de court et je suis finalement très contente qu'il y soit !

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